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Face aux dégâts écologiques – Mettre en débat la sortie de l’e-commerce

Entretien paru dans le magazine Agir par la culture


Propos recueillis par Aurélien Berthier

10/10/2022

agirparlaculture

Dans quelle mesure la croissance spectaculaire de la vente en ligne nuit-elle à l’environnement ? Rencontre avec Solène Sureau et Ela Callorda Fossati, deux économistes qui mènent des recherches sur les transitions durables au sein de l’Institut de Gestion de l’Environnement et d’Aménagement du Territoire (ULB). Parce que le soutien à des innovations « durables » ne suffit pas, elles travaillent sur les scénarios de sortie (qu’elles nomment « exnovations ») des aspects les plus destructeurs de l’environnement que ces pratiques de distribution entrainent. Que faire alors que le coût environnemental que fait peser ce type de commerce ne cesse d’augmenter ?

Quels sont les principaux dégâts écologiques qu’entraîne la massification du commerce de vente en ligne ?

Solène Sureau : Les dégâts écologiques de l’e-commerce sont liés d’une part aux infrastructures nécessaires (informatiques et pour le stockage), au conditionnement des produits, au transport en amont de la chaîne, et d’autre part, à son impact potentiel sur l’augmentation de la consommation et la production globale de biens et services (effets rebonds). Pour d’autres postes, l’e-commerce serait en revanche plus vertueux que le commerce physique. Il s’agit de l’énergie pour le stockage des produits (dans les entrepôts versus dans les magasins) et, même si ce dernier point est sujet à débat, du transport en aval de la chaîne ou ce qu’on appelle « le dernier kilomètre » (livraison à domicile versus collecte par le consommateur).

L’idée que la livraison à domicile puisse être moins impactante écologiquement semble contre-intuitive puisqu’on met sur les routes beaucoup de camionnettes à moitié remplies…

SS : Certes, mais ce n’est pas non plus écologique de faire déplacer une voiture sur 20 km pour aller faire quelques courses… Les évaluations d’impact de la distribution d’un produit indiquent que le dernier kilomètre est le poste d’émission le plus important. En cause, le fait que pour ce dernier kilomètre, le transport se fait en majorité en voiture individuelle. Avec l’e-commerce, ce « dernier kilomètre » est mutualisé avec les biens d’autres consommateurs (comme les autres étapes de l’acheminement des produits), ce qui fait diminuer les émissions par produit acheté.

Cependant, les études qui arrivent à cette conclusion sont contestables. D’une part, elles considèrent des tailles de paniers similaires entre les deux canaux (et supposent qu’un seul produit est acheté). Or, quand on va faire des courses en magasin, on n’achète pas qu’un seul produit, et on ne se déplace pas seulement pour ça (on y va au retour du travail par exemple). Il y a donc aussi une forme de mutualisation qui est ignorée par ces modèles d’évaluation. Et quand on achète en ligne, le nombre de biens achetés par commande (le panier) est souvent plus faible, en particulier pour les achats non alimentaires. D’autre part, ces études ne prennent pas en compte des réalités de l’e-commerce : les livraisons ratées (entre 7 et 20 % des livraisons) et les taux de retour importants (qui concernent entre 10 et 30 % des achats et qui sont favorisés par la gratuité des retours).

Par ailleurs, le développement récent des livraisons rapides ou en moins de 24h tend à réduire les bénéfices potentiels de l’e-commerce en matière de mutualisation : plus la livraison doit être rapide, plus il est difficile de consolider les livraisons. Une étude américaine montre que la réduction des délais de livraison fait augmenter le nombre de kilomètres parcourus par colis, et par conséquent les émissions de gaz à effet de serre (GES) et de polluants.

De plus, avec ces livraisons rapides, il y a un risque que les distributeurs recourent à l’externalisation des livraisons à des non-professionnels par le biais d’une plateforme web dédiée (de type Uber), pour lesquelles la mutualisation est faible. Une étude bruxelloise récente a évalué les « coûts externes » (en termes de GES, polluants, bruit et congestion) de ce type de livraison à 2,75 €, contre 0,32 € pour une livraison sous-traitée à une entreprise de transport spécialisée[1]. Et ces chiffres ne prennent pas en compte les coûts sociaux de ces « emplois » ubérisés, sans sécurité aucune.

Sur des plateformes de vente en ligne comme Amazon, on est soumis à des publicités, des promotions, des suggestions et incitations d’achats qui sont ciblées sur base des données recueillies par ailleurs et qui peuvent nous pousser à l’achat impulsif ou à gonfler notre panier. Ce bombardement entraîne-t-il une surconsommation ?

SS : Il est fort probable que ces dispositifs incitent à une surconsommation, mais on ne sait pas dans quelle mesure, faute d’études évaluant les effets rebonds de l’e-commerce. Notons juste que dans une enquête de Comeos réalisée en 2017, un tiers des répondants affirment que leurs achats en ligne sont des achats supplémentaires[2]. Une étude allemande conclut, elle, que le e-commerce fait augmenter la consommation totale des appareils numériques, mais pas des vêtements. Ainsi, les achats en ligne de vêtements se substituent (plutôt que s’additionnent) aux achats de vêtements en magasin : c’est mieux d’un point de vue environnemental, mais moins bien pour les magasins de vêtements.

Ela Callorda Fossati : Et même sans ces dispositifs visant à pousser la consommation, l’e-commerce facilite l’achat et la vente de biens. Le fait qu’il soit possible de consommer 7 jours sur 7 et 24h sur 24 fait qu’il n’y a pas de limite à la formulation des besoins marchands alors que dans un commerce physique, les heures d’ouverture régulent les conditions de travail mais aussi les moments où l’on peut acheter. Agrandir cette fenêtre est de nature à induire une augmentation de la demande globale.

SS : Par ailleurs, avec le e-commerce, la palette de produits (c’est-à-dire l’assortiment) qu’il est possible d’acheter s’agrandit. On a plus de chance de trouver ce que l’on cherche, notamment des produits très spécifiques, et qui sont vendus par des distributeurs situés loin de chez nous : l’appariement entre l’offre et la demande est facilité. Cela peut être bénéfique s’il s’agit de produits plus durables. Par exemple, les sites 2ememain.be ou Vinted permettent de trouver en seconde main ce que l’on aurait acheté neuf. Mais on a aussi plus de chances de trouver ce que l’on ne recherchait pas, ce qui ne correspond pas à un « réel » besoin, et des produits neufs, à impact élevé. Au final, l’e-commerce devient un problème si ça nous pousse à consommer plus, même des biens de seconde main, si l’on pense aux impacts de vêtements livrés depuis l’autre côté de l’Europe par exemple.

ECF : D’autant que ces plateformes concurrencent des acteurs traditionnels qui font de la seconde main avec des modèles d’économie sociale (comme Les Petits Riens).

Qu’en est-il de l’impact de l’e-commerce sur l’emploi dans le secteur du commerce de détail ? L’e-commerce crée-t-il ou détruit-il de l’emploi ?

SS : L’e-commerce crée de l’emploi dans le secteur du transport car la chaîne est allongée jusqu’au domicile du consommateur. En revanche, l’e-commerce concurrence les commerces physiques qui eux, fonctionnent avec plus de main d’œuvre par produit vendu que les entrepôts de l’e-commerce. Ces commerces physiques sont déjà affaiblis actuellement du fait de la saturation du marché générée par une suroffre de commerce, et en Belgique, certains appellent à freiner le développement commercial[3]. On a donc une création d’un côté et une destruction de l’autre, et le solde entre les deux n’est pas connu. Ce que l’on sait en revanche c’est que les emplois créés sont de moins bonne qualité que les emplois détruits : le travail intérimaire est plus répandu dans les entrepôts que dans les magasins, et la livraison à domicile fonctionne en partie avec les jobs dits ubérisés[4].

Aussi, l’e-commerce va peut-être créer des emplois, mais ces emplois seront concentrés dans quelques zones comme à Liège avec l’extension d’Alibaba et à Anvers avec l’installation d’Amazon[5] et d’autres emplois répartis dans les commerces de tout le territoire seront détruits, et en particulier dans les centres des villes moyennes. Ça risque d’accentuer les inégalités entre les villes, entre les territoires, comme ce qui s’est produit aux Etats-Unis avec Amazon.

ECF : Oui, il y a la question de l’effet net sur l’emploi et celle de la nouvelle réalité spatiale qui en résulte. D’autant qu’avec un employeur unique qui acquiert un poids très important dans l’emploi d’une région, on entre dans la question de la vulnérabilité économique des territoires. Par ailleurs, il existe une incertitude par rapport aux promesses d’emploi qui accompagnent les négociations des conditions d’implantation. Qui contrôle ou évalue ex-post ce que sont devenues ces promesses, et la pérennité de ces emplois ?

Pris dans une course à la rapidité et la minimisation des coûts, les plateformes ont tendance à un gaspillage en emballage. Beaucoup de gens ont vécu l’expérience de recevoir des produits commandés en une seule fois, mais qui arrivent dans des paquets et des moments de livraison différents. On a une idée des dégâts de ce suremballage ?

SS : En effet, les études montrent que l’e-commerce utilise plus d’emballage que le commerce physique. Par exemple, pour les livres, l’emballage requis pour l’e-commerce consomme cinq fois plus d’énergie que celui pour le commerce physique.

Et qu’en est-il de l’impact du numérique ?

SS : Le commerce en ligne ajoute un type de consommation de ressources et d’énergie par rapport au commerce physique : celui lié aux infrastructures informatiques. Ceci comprend la consommation d’énergie liée à la recherche sur l’e-shop, mais aussi la consommation d’énergie et de ressources pour la production, l’utilisation et la mise en rebut d’une part, de l’ordinateur ou du smartphone de l’acheteur et d’autre part, des data centers (ou centres de données). Peu d’études prennent en compte l’ensemble des impacts liés à ces infrastructures, mais ils seraient en fait très marginaux dans l’ensemble d’une commande. Une étude européenne conclut ainsi que les infrastructures informatiques émettent seulement entre 0,2 et 1,1 % des GES émis sur l’ensemble du cycle de vie des produits achetés en ligne (c’est le dernier km qui serait le plus gros contributeur). Cependant, le problème est que (presque) tout le monde achète en ligne désormais, donc même si par unité ce n’est pas grand-chose, quand on regarde tous les achats en ligne, ça fait beaucoup

Oui, cela devient colossal si on multiplie ce chiffre par les dizaines de millions de commandes en ligne passées chaque année…

SS : Exact. Quand on regarde les impacts par unité de produits commandés, on observe que la contribution du numérique est faible, comme je viens d’expliquer. Mais comme le e-commerce représente des grosses quantités (12 % des achats en Belgique en 2020) et connaît un essor très important (croissance annuelle estimée autour de 10 % pour les années à venir), on doit installer de plus en plus de data centers, et les impacts de l’ensemble des commandes en ligne augmentent en conséquence. Cependant, ces impacts sont difficiles à estimer. On connaît la consommation globale d’énergie du numérique, et on sait que celle-ci augmente d’année en année, ce qui est déjà une indication. Pour la Wallonie, il a été estimé qu’elle représentait plus de 10 % de la consommation d’électricité en 2018 et qu’elle pourrait tripler d’ici 2030 selon une étude commandée par le gouvernement wallon. En France, elle augmente d’environ 9 % par an. Mais on ne connaît pas la contribution du e-commerce à cette consommation d’énergie.

ECF : Et il y a l’impact de la publicité numérique qui est difficile à mesurer et a priori pas pris en compte par les études citées par Solène. Une étude a tenté de chiffrer cet « impensé énergétique » : la publicité numérique aurait consommé en 2016 l’équivalent de 1,5 fois la consommation annuelle d’électricité de la région Ile-de-France[6] ! En plus de l’impact direct sur la consommation d’énergie, la publicité en ligne incite à la surconsommation et pose de nombreux problèmes (économie de l’attention, atteintes à la protection de la vie privée…).

Difficile donc d’affirmer que le e-commerce contribuerait à baisser les impacts environnementaux de la consommation, comme s’en vantent parfois les plateformes de commerce en ligne ?

SS : Difficile en effet. Car quand on cherche à connaître l’impact environnemental net d’une innovation comme l’e-commerce, il faut regarder deux choses : si l’impact par unité est moins important que ce que l’innovation vient remplacer (c’est-à-dire le commerce physique), et si l’innovation n’augmente par les quantités produites et consommées globales. La plupart des évaluations d’impact de l’e-commerce ne considèrent que l’impact par unité (ce sont des analyses de cycle de vie, comme les empreintes carbone). Or, on peut sérieusement douter de la supposée plus grande durabilité d’un achat en ligne par rapport à un achat physique, du fait de ce que j’ai précédemment évoqué sur le dernier kilomètre. Deuxio, comme je l’ai déjà évoqué, l’e-commerce augmente certainement la consommation globale de biens et services et donc aussi leur production.

Beaucoup de luttes se focalisent actuellement sur l’implantation de nouveaux entrepôts logistiques par de grandes plateformes. Quels problèmes posent-ils ?

SS : Le principal problème est lié au fait de mettre des infrastructures de tailles impressionnantes là où il n’y en avait pas, alors que des infrastructures dédiées au commerce de détail existent déjà, fonctionnent et suffisent certainement. De la même manière que pour l’emploi, les entrepôts de géants de l’e-commerce comme Amazon amènent et concentrent des flux, les rotations des poids lourds et camionnettes autour d’eux, dans certaines zones. Et du fait du développement du e-commerce des « pure players » (les distributeurs vendant exclusivement en ligne comme Amazon), on construit des nouvelles infrastructures – sur des friches industrielles dans le meilleur des cas. Mais souvent on artificialise des terres pour cela, et donc on raréfie le foncier agricole qui coûte déjà très cher et qui est censé nous nourrir, nous fournir des intrants pour des agrocarburants, pour des produits biosourcés, etc. On construit, on consomme des ressources, alors que des infrastructures pour faire fonctionner un certain type de commerce de détail existent déjà. Il est temps que nous fassions avec ce qui est là et que l’on cesse d’artificialiser, d’extraire, de développer… On a déjà fait des erreurs avec le développement à tout va des centres et parcs commerciaux, qui ont artificialisé des terres, fait concurrence aux commerces existants et qui maintenant vivent une baisse de leur fréquentation… Ne faisons pas la même erreur avec l’e-commerce !

Une étude française montre que la contribution de l’e-commerce à la consommation d’espaces naturels agricoles et forestiers est très faible par rapport à d’autres secteurs (habitat, infrastructures de transport, foncier économique)[4]. Cependant, au vu des enjeux climatiques actuels, il me semble qu’il faut limiter partout où c’est possible l’artificialisation des sols.

ECF : Il faut noter que l’opposition à l’implantation de nouveaux entrepôts présente une forte capacité de mobilisation citoyenne : le trafic routier ou l’architecture peu esthétique de ces bâtiments peut arriver à mobiliser des gens plus facilement que d’autres aspects pourtant plus dommageables environnementalement. C’est ce que l’on appelle le phénomène du NIMBY (« not in my backyard »). Toutefois, on voit apparaître un autre récit autour de ces mobilisations : « ni ici ni ailleurs » (ou NIABY qui veut dire « Not in anyone backyard »), par exemple à Liège face au projet d’extension de l’aéroport et l’implantation d’Alibaba[7].

On peut aussi s’interroger sur la capacité des pouvoirs publics à négocier avec un méga-acteur comme Amazon. Le rapport de force qui peut être établi est bien plus défavorable que celui entretenu avec les acteurs du commerce traditionnel, en particulier avec ceux qui ont un ancrage local. Les petits commerçants ont une capacité de gestion et de prise de décision sur leur activité que n’ont pas les managers d’Amazon (ni d’ailleurs les managers des chaînes de magasins). Les choses importantes se décident ailleurs. À la limite et pour utiliser un terme à la mode en matière de gouvernance, il est impossible de « co-créer » avec Amazon.

On se souvient de la déclaration de Paul Magnette en février 2022, selon laquelle il serait « souhaitable de sortir de l’e-commerce » comme on tente de sortir du nucléaire, propos qui avait déclenché sarcasmes et levée de bouclier à l’époque[8]. Faut-il poser la question en ces termes ? Et comment cette proposition de sortie rejoint vos recherches sur l’exnovation ? En fait, de quoi il faudrait sortir exactement quand on parle d’e-commerce ?

ECF : Avec cette déclaration, Paul Magnette a défrayé la chronique (jusqu’à se faire accuser de vouloir revenir à « l’âge de pierre », un processus de disqualification classique), mais le débat qui a suivi a cependant permis de mettre sur le devant de la scène une question qui était jusqu’ici politiquement taboue. Déjà, quand quelqu’un est accusé de vouloir revenir à l’âge de pierre ou à la bougie, ça devrait nous alerter. Il y a là un procédé classique de disqualification que la « sociologie des absences » explique par la « monoculture du temps linéaire », c’est-à-dire par une logique qui prétend que l’histoire a un sens et une direction unique, qu’elle est une flèche du temps vers le « progrès » (ou indifféremment vers la modernisation). En tenant pour rétrograde tout ce qui s’écarte de cette logique, on rend des questions comme celle de la sortie de l’e-commerce non dignes de débats et de recherches. Avec ce type de procédé, on produit des absences, on crée des non existences dans le débat public. Nous pensons que cette discussion sur « ce dont il faut sortir » pour des raisons de non-viabilité socio-écologique est nécessaire et nous cherchons à l’aborder à travers le concept d’exnovation. Celui-ci désigne les stratégies visant à faire décliner ce qui n’est pas durable: les industries, les technologies, les consommations, les manières de produire, les infrastructures, les pratiques, les modèles d’entreprise trop carbonés ou qui posent d’autres problèmes (pollution, biodiversité, travail décent, etc.)..

Ce concept d’exnovation nous fait prendre une distance critique par rapport à l’approche classique dite de « la transition », axée sur la survie et la « mise à l’échelle » des innovations dites de niche et durables. Quand la ministre bruxelloise de l’économie, Barbara Trachte, dit que « entre Amazon et la bougie, il existe aussi des initiatives qui concilient e-commerce et PME/indépendants » (en faisant référence à mymarket.brussels), elle s’inscrit dans cette approche classique de « la transition » qui parie très fort sur les alternatives et leur soutien. Or, il existe une sorte de « plafond de verre » qui fait que des alternatives comme mymarket.brussels ne peuvent pas se développer au-delà d’un certain seuil tant que les acteurs dominants comme Amazon restent en place[9]. Les alternatives ont besoin de « place » pour se développer. Avec le concept d’exnovation, nous nous concentrons sur les stratégies qui visent à défaire les configurations sociotechniques non durables de l’économie[10] et, ce (dé)faisant, permettent aux alternatives d’avoir de la place pour réellement se déployer et devenir la nouvelle norme. En même temps, nous devons être très attentives à ce que nous appelons « alternatives » et en particulier à leur impact sur les quantités consommées.

En réalité, les propos de Paul Magnette ne sont pas si isolés qu’ils ont pu le paraître. La « mouche qui a piqué Paul Magnette », pour reprendre un titre de presse, a aussi piqué chez nos voisins français dans un contexte marqué par la fin des travaux de la Convention citoyenne pour le climat et par des échéances électorales. En octobre 2021, c’est la candidate à la primaire écologiste française Sandrine Rousseau qui déclarait « Oui, il faut arrêter Amazon »[11]. Mais comment ? Qu’est-ce que ça implique ? Et est-ce seulement Amazon qui serait concerné ? « Socio-techniquement » la question est très complexe, et probablement, le tort de Magnette, c’est d’avoir négligé dans ses propos de départ cette complexité. Est-ce que l’on sort de l’e-commerce comme l’on sort du nucléaire ? Les réalités de l’e-commerce sont très hétérogènes, les acteurs d’e-commerce très nombreux et différents, l’infrastructure informatique nécessaire est partagée avec d’autres usages, etc. En somme, nous pensons que la question de la « sortie de l’e-commerce » est utile pour lever un tabou, mais qu’elle doit être décortiquée. C’est pourquoi, nous avons réfléchi à la traduction des impacts négatifs de l’e-commerce et des formes les moins durables d’e-commerce en scénarios d’exnovation. En d’autres termes, nous avons cherché à préciser ce dont il serait question de sortir quand on parle de sortie de l’e-commerce. Nous avons identifié quatre principales tendances négatives dans le commerce de détail qui sont exacerbées par l’essor de l’e-commerce et nous avons envisagé des pistes de « scénarios de sortie de » pour les contrer. [Voir encadré, 4 scénarios d’exnovation]. Ces scénarios ne constituent pas des recommandations de stratégies prêtes à l’emploi mais plutôt des clés pour un débat qui doit être démocratique.

 

Quatre scénarios d’exnovation pour sortir de l’e-commerce le plus délétère

N°1 Sortir… pour utiliser l’infrastructure qui est déjà là ! – Scénario de sortie de l’e-commerce des pure players et de l’aménagement de nouvelles zones commerciales et logistiques. Actuellement, on construit des nouvelles infrastructures, alors qu’on a déjà des infrastructures pour le commerce. Ce scénario propose de stopper cette tendance en renforçant les formes d’e-commerce multicanal (c’est-à-dire à la fois en ligne et en magasin) qui utilisent les infrastructures existantes et n’en développent pas de nouvelles. Ce sont des formules plus intéressantes du point de vue de l’utilisation des sols mais aussi de l’impact du dernier kilomètre que l’e-commerce des pure players (les acteurs exclusivement en ligne). Les magasins sont en effet situés plus près des domiciles des consommateurs que les entrepôts, et sont déjà là pour la plupart. Par ailleurs, on diminuerait ainsi les emplois dans les entrepôts dont les conditions sont moins bonnes qu’en magasin.

N°2 Sortir… pour un commerce slow et de proximité – Scénario de sortie de l’e-commerce lointain et rapide. Aujourd’hui, on achète des biens qui viennent de loin, qui doivent arriver rapidement, et qui viennent par des modes de transport très carbonés. Et ce, alors même que des alternatives existent : bateau versus avion, transport ferroviaire ou fluvial versus routier, camionnettes électriques ou cyclo-logistique versus diesel. Avec les abonnements de type « Prime » (par lequel Amazon vous promet une livraison en moins de 24 heures) et les livraisons gratuites, le prix de livraison est complètement déconnecté des coûts écologiques des livraisons mais aussi des coûts de revient. Ce scénario qui mettrait un frein aux livraisons les plus productrices de GES est à contre-courant des tendances actuelles mais c’est primordial de s’attaquer à ce problème, au vu de nos émissions de GES liées au transport qui sont les seules à ne pas baisser !

N°3 Sortir… pour des rapports de force équilibrés dans le commerceScénario de sortie de l’e-commerce des géants. La distribution est déjà un secteur très concentré : quelques acteurs dominent le marché et imposent les termes de l’échange au reste de la chaîne. L’économie de plateforme, les « marketplaces », augmente ce phénomène de concentration par le biais d’effets de réseaux). Il s’agirait donc de déstabiliser ces géants de l’e-commerce qui ont un pouvoir de marché disproportionné par rapport aux autres acteurs de la chaine (en particulier les fournisseurs). Par ailleurs, cela viserait également à contrer une tendance en cours depuis plusieurs décennies : le déclin des commerces indépendants du fait de l’essor des chaines.

4 Sortir… pour consommer sobrement, moins et mieuxScénario de sortie de l’e-commerce des biens neufs et non durables. L’e-commerce augmente la consommation globale de biens et de services. Mais d’un autre côté, l’e-commerce permet aussi un appariement facilité pour des biens très spécifiques, notamment les biens durables (écologiques, commerce équitable, à longue durée de vie) et de seconde main. L’idée ici serait de freiner délibérément l’e-commerce des biens non-durables, pour favoriser le (e-)commerce des biens durables. Un enjeu primordial quand on sait que c’est la phase de production qui représente l’essentiel des émissions d’un produit le long de son cycle de vie.

 

Qu’est-ce qui en ressort ? Faut-il réglementer ? Voire interdire certaines pratiques ?

ECF : L’exnovation peut être conçue comme un ensemble d’interventions visant à déstabiliser et à amener vers le déclin les modes de production et de consommation non durables. Retirer les avantages existants, taxer, interdire, réglementer la sortie… (en plus de soutenir les alternatives durables). Les instruments possibles sont multiples, mais il est essentiel qu’ils soient mus par une vision systémique des problèmes de non-viabilité socio-écologique et par des principes de planification démocratique et de justice sociale.

Est-ce qu’une mesure comme l’interdiction de la livraison gratuite serait par exemple pertinente ?  

ECF : Faire en sorte que les frais de livraison correspondent aux coûts réels peut contribuer à réduire l’impact environnemental de l’e-commerce. Mais cela pose notamment des questions de pouvoir d’achat et de justice sociale qui révèlent des arbitrages plus complexes : ceux qui peuvent payer plus pourront-ils toujours se faire livrer à domicile, tout et n’importe quoi, à toute heure… ? Une mesure isolée ne suffira pas à faire face à l’ensemble des « coûts sociétaux » de l’essor du e-commerce.

SS : À Bruxelles, les livraisons à domicile pourraient être interdites ou très taxées (en tous cas pour les petites commandes, qui peuvent facilement être récupérées à pied). Comme évalué par les chercheurs en mobilité de la VUB, la collecte en points de dépôt génère en effet moins d’impacts que la livraison à domicile dans une zone urbaine où la mobilité douce et partagée est majoritaire[12]. En favorisant la collecte en points de dépôt, on aide aussi les commerçants traditionnels bruxellois. Ce n’est pas le cas avec la livraison vers des lockers ou casiers, qui se développent de plus en plus, notamment à Bruxelles. En plus de l’esthétique discutable de ces casiers, a-t-on vraiment besoin de pouvoir récupérer son colis à toute heure du jour et de la nuit ? Même chose pour les livraisons en véhicules motorisées faites par le biais d’emplois ubérisés[13]. En plus de favoriser des emplois précaires, ce type de livraison serait très peu écologique comparées à celles menées par des entreprises de logistique spécialisées comme Bpost par exemple[1].

ECF : De telles mesures (l’interdiction ou la surtaxation des livraisons à domicile en véhicule motorisé) viendraient aussi soutenir le déploiement de la cyclo-logistique (qui est par ailleurs salué par la région). Toutefois, une des difficultés avec l’interdiction c’est qu’elle s’accompagne souvent de conflits sur les exceptions et dérogations légitimes.

Et qu’en est-il du moratoire sur l’implantation de nouveaux entrepôts du e-commerce qui figurait par exemple dans le projet de « Loi climat » en France ? Est-ce qu’il va être mis en place ?

ECF : Bonne question… Il n’en reste pas grand-chose. Il n’y a finalement pas de moratoire sur l’implantation de nouveaux entrepôts du e-commerce dans la « Loi climat » qui a été adoptée. Le moratoire ainsi que les autres pistes de régulation (imposition d’un système d’étiquetage environnemental du e-commerce – du style du « nutri-score » – et la taxation des livraisons) ont été écartées et remplacées par une tout autre logique d’action : l’engagement volontaire des entreprises dans des « bonnes pratiques ». On est dans la continuité de l’esprit de la RSE (Responsabilité sociale des entreprises) dont on connaît les limites…[14] La Fédération française du e-commerce et de la vente à distance (Fevad) a obtenu ce retrait et en contrepartie s’est engagée à participer à l’élaboration d’une charte pour un « e-commerce responsable »[15]. Sauf que cette charte ne concerne que le très petit nombre acteurs du-commerce qui ont décidé de la signer (des mastodontes comme Amazon ou Zalando ne l’ont pas fait par exemple), elle exclut certains domaines de la formulation des « bonnes pratiques » (la publicité numérique par exemple) et surtout (ce qui est important en termes d’exnovation), elle ne se positionne pas par rapport au maintien des « mauvaises pratiques » et négligences. L’habileté des lobbys à contourner les politiques d’exnovation est consternante. C’est encore plus atterrant quand on sait que cette mesure là (le moratoire) était dérivée de l’une des propositions de la Convention citoyenne pour le climat[16], rédigée par 150 citoyen·nes tiré·es au sort pour réfléchir à un « nouveau régime climatique »…

Le moratoire est-il une forme d’exnovation que l’on pourrait aussi retrouver en Belgique ?

ECF : En Belgique, on ne voit pas encore de moratoires concernant le e-commerce. Mais on en constate ailleurs, par exemple aux Pays-Bas où, un moratoire a été décidé sur l’implantation de nouveaux data-centers à Amsterdam en 2019[17] et un autre plus récemment (janvier 2022) sur le « quick commerce » des « dark stores », toujours à Amsterdam[18] [Le « quick commerce » est un commerce en ligne basé sur des livraisons ultra rapides, quelques dizaines de minutes, rendues possibles par un réseau de magasins fermés au public, dits « dark store », disséminés dans toute la ville NDLR]. On peut aussi penser au cas de l’Allemagne qui en règle générale interdit la construction de nouveaux entrepôts à l’extérieur des zones déjà urbanisées4. La Wallonie et la Flandre ont l’objectif de stopper l’artificialisation des sols (pour 2050 et 2040 respectivement)[19] mais n’ont, quant à elles, pas encore planifié de moratoires

Le moratoire permet d’arrêter à un moment donné et dans un espace donné des développements (e)commerciaux spécifiques. Il cible la dimension infrastructurelle et spatiale des configurations sociotechniques non durables (et rejoint alors la principale préoccupation de notre scénario d’exnovation N°1 d’utilisation de l’existant). Mais est-ce qu’il va perdurer, se généraliser et s’inscrire dans la planification d’une politique d’exnovation ou est-ce qu’il joue un autre rôle ? Car un moratoire peut aussi tout simplement permettre aux pouvoirs publics de se donner le temps de réfléchir à une régulation possible du phénomène plutôt que de laisser faire et se retrouver au pied du mur, soumis à la vitesse du développement commercial et à des effets négatifs potentiellement irréversibles. Ce type de moratoire, conçu en tant qu’arrêt temporaire (pour penser la régulation de quelque chose que l’on envisage comme encore viable socio-écologiquement si c’est régulé et dont on réussit à limiter ses impacts négatifs), se différencie évidemment fort d’un moratoire qui viserait lui à annoncer une sortie progressive des développements (e)commerciaux non viables. Mais ce serait déjà ça !

En fait, pour comprendre ces moratoires, il faut comprendre non seulement le « quoi » (la spécificité du développement (e)commercial ciblé), le « où ? » (un site, une commune, deux communes, tout un pays…), le « quand ? » (d’ici un an, d’ici à terme indéfini…), mais aussi le « qui ? ». L’idée de nos recherches, c’est d’ailleurs aussi de voir qui sont les acteurs susceptibles de former une coalition capable de créer le rapport de force qui va faire que le moratoire voit le jour et s’inscrive dans une politique d’exnovation. Un exemple intéressant (et même surprenant) à Bruxelles est celui de la « Plateforme interrégionale pour une économie durable ». Cette plateforme qui regroupe des acteurs au profil fort différent (des associations locales travaillant sur des questions d’environnement et d’urbanisme, des syndicats mais aussi des fédérations patronales représentant les petits commerces) s’oppose depuis plus de 10 ans à l’implantation de nouveaux « grands centres commerciaux » dans la région et sa périphérie proche[20]. Aujourd’hui, grâce à ce travail de contestation, un moratoire sur les nouveaux centres commerciaux fait partie de la Déclaration de politique régionale bruxelloise. Il faudrait arriver à créer un rapport de force similaire concernant les pires formes du e-commerce et leurs infrastructures…

Pour en savoir plus: notre page et nos rapports en lien avec notre chantier sur le commerce de détail

Références

[1] Heleen Buldeo Rai, “Environmental Sustainability of the Last Mile in Omnichannel Retail” (Brussels, Belgium, Vrije Universiteit Brussel (VUB), 2019), https://cris.vub.be/en/publications/environmental-sustainability-of-the-last-mile-in-omnichannel-retail(1e13f586-6499-4451-81a8-907b08b6a2f9).html

[2] Pieter De Vuyst and Ugne Mikulenaite, “E-Commerce Studie 2017” (Brussel, Belgie: COMEOS, 2017), https://comeos.be/research/94930/E-Commerce-Studie-2017.

[3] Benjamin Wayens et al., “Le commerce à Bruxelles : réconcilier l’urbain avec un secteur en reconfiguration. Note de synthèse BSI,” Brussels Studies. La revue scientifique pour les recherches sur Bruxelles, 4 mai 2020, https://doi.org/10.4000/brussels.4311

[4] Bon-Maury, Gilles, Julien Fosse, Marie Deketelaere-Hanna, Patrick Lambert, Philippe Vinçon, Vincent Constanso, Valentine Verzat, and Vivien Guérin. “Pour un développement durable du commerce en ligne.” Paris, France: France Stratégie, février 2021. https://www.strategie.gouv.fr/publications/un-developpement-durable-commerce-ligne.

[5] “Amazon Débarque En Belgique et va y Installer Son Premier Centre de Distribution,” La Libre Eco, 17 février 2022, https://www.lalibre.be/economie/entreprises-startup/2022/02/17/amazon-debarque-a-anvers-et-annonce-la-creation-de-50-emplois-J4V5CE3T4ZFQHB4TWTYPIPXBYI/

[6] Megali, Théophile. “Pollution Numérique : Manifeste Pour Une Sobriété Publicitaire.” The Conversation, 9 janvier 2019. http://theconversation.com/pollution-numerique-manifeste-pour-une-sobriete-publicitaire-122286

[7] EJAtlas, “Expansion de l’aéroport de Liège, Belgique”, https://ejatlas.org/conflict/stop?translate=fr

[8] Berns, Dominique. “Paul Magnette: «Après la sortie du nucléaire, sortir de l’e-commerce».” Le Soir, 7 février 2022. https://www.lesoir.be/422704/article/2022-02-07/paul-magnette-apres-la-sortie-du-nucleaire-sortir-de-le-commerce.

[9] Notons que ce plafond est d’autant plus difficile à percer qu’il existe des économies d’échelle du côté de la demande et des effets dit de réseaux. Et c’est le cas avec les plateformes d’e-commerce. Cf. Philippe Moati, La plateformisation de la consommation, Gallimard, Le Débat (Paris, France, 2021).

[10] Ces configurations peuvent être matures (on parle alors de “régime”) ou émergentes. Elles sont le résultat de l’imbrication de technologies, infrastructures, modèles d’entreprise et de pratiques sociales et culturelles diverses.

[11] “Décroissance ? ‘Oui, Il Faut Arrêter Amazon !’” (Paris, France: Arrêt sur images, 22 octobre 2021), https://www.arretsurimages.net/emissions/arret-sur-images/decroissance-oui-il-faut-arreter-amazon

[12] Mommens, Koen, Heleen Buldeo Rai, Tom van Lier, and Cathy Macharis. “Delivery to Homes or Collection Points? A Sustainability Analysis for Urban, Urbanised and Rural Areas in Belgium.” Journal of Transport Geography 94 (June 1, 2021): 103095. https://doi.org/10.1016/j.jtrangeo.2021.103095

[13] Appelé crowdsourcing ou approvisionnement par la foule, par lequel une entreprise externalise des tâches individuelles à des non-professionnels, par le biais d’une application mobile

[14] Wagner, Tillmann, Pelin Bicen, et Zachary R. Hall. « The dark side of retailing: towards a scale of corporate social irresponsibility ». International Journal of Retail & Distribution Management 36, no 2 (1 janvier 2008): 124‑42. https://doi.org/10.1108/09590550810853075

[15] “Charte d’engagements Pour La Réduction de l’impact Environnemental Du Commerce En Ligne,” juillet 2021 https://www.strategie.gouv.fr/sites/strategie.gouv.fr/files/atoms/files/charte_dengagements_pour_la_reduction_de_limpact_environnemental_du_commerce_en_ligne.pdf.

[16] Convention citoyenne pour le climat. “Les Propositions de La Convention Citoyenne Pour Le Climat.” Paris, France, 29 janvier 2021. https://propositions.conventioncitoyennepourleclimat.fr/pdf/ccc-rapport-final.pdf.

[17] Wells, Jeff. “Officials Push Back against Rapid Grocery Delivery.” Grocery Dive, February 15, 2022. https://www.grocerydive.com/news/officials-push-back-against-rapid-grocery-delivery/618870/.

[18] Judge, Peter. “Amsterdam Says No More New Data Centers.” Data Center Dynamics, July 16, 2019. https://www.datacenterdynamics.com/en/news/amsterdam-pauses-data-center-building/.

[19] Ancion, Hélène. “En route pour une réduction de l’artificialisation.” Inter-Environnement Wallonie – IEW (blog), 5 mars 2020. https://www.iew.be/en-route-pour-une-reduction-de-lartificialisation/. Mathieu, Audrey. “Betonstop flamand : vers quel type de mise en œuvre se dirige-t-on ?” Inter-Environnement Wallonie – IEW (blog), 16 mai 2019. https://www.iew.be/betonstop-flamand-vers-quel-type-de-mise-en-oeuvre-se-dirige-t-on/.

[20] BRAL. “La Plateforme interrégionale pour une économie durable demande une réévaluation de l’ensemble du projet Neo !,” 19 octobre 2021. https://bral.brussels/fr/artikel/la-plateforme-interr-gionale-pour-une-conomie-durable-demande-une-r-valuation-de-l-ensemble.

chantier concerné

Commerce de détail

domaine de recherche

Évaluation de la durabilité

lieu

Bruxelles
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